La Bible de Moutier-Grandval

La Bible de Moutier-Granval, aujourd’hui à Londres à la British Library, fut exécutée à Tours vers 835, dans le scriptorium de Saint-Martin.

La Bible de Moutier-Grandval comprend donc en un seul volume de 449 folios, au format moyen de 51 sur 37,5 cm, la totalité du texte de la Bible, écrit sur deux colonnes de 50-52 lignes, dans la version latine de Vulgate en partie révisée par Alcuin.

La Bible de Moutier-Grandval est un de ces sujets qui ont le don de susciter l’intérêt des érudits et, partant, ont fait couler beaucoup d’encre. Oubliée par les chanoines de Moutier dans leur maison capitulaire de Delémont, au début de la Révolution, la Bible fut découverte par des enfants au galetas, à la fin de décembre 1821 ou au début de l’année 1822. Ces gamins s’amusèrent longuement avec ce vénérable monument. Pour retrouver plus facilement les « images » et les belles grandes initiales, ils placèrent, entre les pages, des gousses de haricots et des brins de paille.

Un jour, ces enfants apportent leur trouvaille aux nouvelles propriétaires de la maison, les demoiselles Verdat qui, jugeant la découverte enfantine, vendent ce bijou à Alexis Bennot, ancien maire de la ville et vice-président du tribunal de Delémont, moyennant la somme de Fr. 3.75. Le curé de la localité, l’abbé Hennet, offre alors à Bennot 12 louis d’or; il voulait placer ce précieux manuscrit dans le trésor de son église. Mais la somme proposée étant trop minime, l’abbé Hennet essuya un refus. Tenté par l’appât de l’argent, Bennot vend notre Bible, le 19 mars 1822, pour 24 louis d’or ou 480 francs à un antiquaire bâlois, M. Speyr-Passavant.

Le nouvel acquéreur publia un opuscule d’une centaine de pages, cherchant à prouver que la Bible de Moutier-Grandval avait été écrite par Alcuin lui-même et qu’elle avait été offerte à Charlemagne à la Noël de l’an 800! De 1826 à 1836, il parcourt la France, l’Allemagne, la Suisse, sa Bible sous le bras, enfermé dans une caissette. Il est reçu par une quantité de savants, d’hommes d’Etat. Guizot souhaite que « cet admirable manuscrit, une fois rentré en France n’en sorte pas. Ce serait, dit-il, pour les amis des antiquités historiques et chrétiennes de la France une véritable douleur ». Charles X qui en a fort envie, offre à Speyr 100 000 francs. Malheureusement, les finances de la France ne permettent pas cet achat.

Repoussé par la France, Speyr part pour Londres où il offre sa bible au musée britannique; il finit par la céder, en juin 1836, pour le prix de 750 livres, soit 18’000 francs. Le sort en était jeté.

Sa description
Ce magnifique manuscrit, tel qu’il offre aujourd’hui à nos yeux, n’est plus revêtu de la couverture originale. Habillé d’une couverture en bois, revêtue au XVI siècle de parchemin, puis par Speyr lui-même, en 1822, de velours noir, la Bible de Moutier répond actuellement à 53 cm de hauteur sur 40 de largeur. Le dos est aussi en cuir moderne. On y lit de haut en bas: Biblia sacra latina, saec. IX Mus. Brit. iure emptionis. Mss add. 10 546.

La Bible est écrite sur du parchemin assez fin. Les folios sont au nombre de 449 soit 898 pages. Les feuilles ont 505 mm de hauteur sur 375 de largeur. Une page est divisée en deux colonnes et chaque colonne, qui mesure 12 à 13 cm de largeur, contient 50 lignes. Chaque page est bien proportionnée. Les réglures son faites au stylet ou à la pointe sèche. Nous avons 59 cahiers et chaque cahier porte un numéro en chiffres romains. C’est une preuve manifeste qu’une personne qualifiée a présidé à la confection de ce document.

Sa conservation
Il est presque surprenant que la Bible de Moutier ait pu résister aux morsures du temps et qu’elle nous soit parvenue pour ainsi dire sans altérations. Les folios, il est vrai, ne sont pas tous d’une blancheur merveilleuse. Et après avoir examiné longuement et minutieusement ce manuscrit, on se demande sérieusement si Speyr-Passavant n’a pas forcé la note quand, en 1822, il disserte sur sa conservation.

Son contenu
Que contient la Bible de Moutier-Granval? Ne souriez pas si cette question vous paraît ridicule. Elle ne l’est point, car si la Bible de Moutier renferme l’ancien et le nouveau Testament, nous y lisons aussi des préfaces de Saint-Jérôme, des poésies d’Alcuin, nous y admirons de petites et de grandes peintures.

Sa provenance
De quelle manière, cette Bible, écrite et enluminée à l’abbaye de Tours, est-elle devenue la propriété des moines, puis le patrimoine des chanoines de Moutier en Grandval ?

Les archives de la collégiale de Moutier signalent au début du XVIe siècle cette Biblia magna. Dans un inventaire établi le 24 juillet 1596, nous la retrouvons. D’ailleurs, à cette date et sur le verso de la dernière feuille de la Bible, le chapitre prend l’engagement de ne jamais aliéner ce manuscrit.

Le propriétaire ou l’abbé – laïc de Moutier, après les années 820, n’est autre qu’Hugues de Tours. Or, celui-ci est décédé en 837. Son fils, Liutfrid de Tours, lui succède en qualité de comte et de propriétaire de l’abbaye de Moutier. Devant une telle coïncidence de dates – Liutfrid de Tours, abbé-laïc ou propriétaire du monastère de Moutier, de 837 à 866; la Bible de Grandval écrite entre 820 et 830, puis enluminée entre 830 et 840 – nous sommes obligés d’admettre que ce précieux codex, cadeau princier, fut offert à ce couvent par le comte d’Alsace, Liutfrid de Tours.

Il y aura bientôt 1200 années que cet admirable manuscrit a été écrit. Quelle n’a pas été la respectueuse émotion que nous avons ressentie en feuilletant et en étudiant ce vénérable monument, émotion qui se doublait du regret de la certitude que le Jura avait perdu, à tout jamais, un de ses plus inestimable trésors.

Référence: Moutier: hier, aujourd’hui, demain par l’Imprimerie Robert SA, 1967